Mon demi assistant
ce soir j'ai trouvé un homme-tronc qui m'attendait sur le trottoir face à l'Olympia
allongé sous les quelques ballots de sacs poubelle d'une boutique
il m'a rappelée l'espiègle Louise Bourgeois et son placide assistant, Jerry
auquel elle demande un moulage du corps pour faire sa sculpture "Arch of Hysteria"
et à qui elle coupe sans façon bras et tête
alors je l'ai baptisé Jerry
un homme-tronc rien qu'à moi, sans queue ni tête mais avec une jolie musculature
un torse, c'est justement ce qu'il me fallait pour présenter ma nouvelle production
le freak, c'est chic
on est rentré en métro, je me suis demandée s'il fallait lui prendre un ticket demi-tarif
n°112
"La peur du vide"
51 x 19 x 17 cm
sculpture en ficelle de lin crochetée en 1 seul fil ininterrompu
+ ajout de fil rouge
Benvenuto Cellini 1554
Persée doit détourner les yeux pour tuer Méduse au regard pétrifiant avant de brandir sa tête coupée
c'est avec ce mythe que j'ai commencé mon histoire de crochet : œil, méduse, tête coupée...
Oeil pour oeil
Il raconte une histoire, il n'est pas facile à porter, il me plait.
"(doudou pour un) oeil blessé"
fétiche à porter, crocheté en 1 fil ininterrompu en fil de lin pour boucherie
parure d'égorgée ? porté au cou il fait jaillissement de sang (et voilà qu'il me renvoie à un thème qui me suit depuis longtemps, la tête coupée, et "Le ruban au cou d'Olympia" de Michel Leiris m'a un temps occupée)
La croix du soin sur la nuque.
comment va se comporter le fil alimentaire au contact de la peau ? risque-t-il de se décolorer ? après tout il est fait pour le contact de la viande
(et je le photographie sur mes ossements (sans plus de viande) de biche)
(pour comprendre sa génèse il faut savoir qu'au moment où, alors que je crochetais depuis 1 an et que je préparais ma 1ère exposition en 2010, j'ai eu une occlusion veineuse rétinienne à un de mes yeux, et que je viens d'apprendre qu'il y a une vilaine évolution qui va me renvoyer au redouté laser de l'hôpital)
A 18h le Salon Creativa ferme ses portes
Soudain, c'est la folie furieuse du on-plie-vite-bagages. Des camions entrent dans le hall, on passe les bras chargés de cartons vides, ou en poussant des chariots, on décroche les patchworks, on remplit des caisses. Le sauve-qui-peut général.
Juste à ce moment-là éclate un orage de fin du monde. Le bruit de l'averse sur la toiture est terrible.
Je coupe tranquillement mes fils pour délivrer mes pièces. Je les allonge dans la valise et le sac. Puis je monte sur ma chaise couper tous les fils qui pendent. Je démonte mes tables. Je plie ma chaise. Je m'en vais. J'ai mis 10 minutes.
Dehors il pleut violemment et des éclairs effrayants déchirent le ciel de Barcelone. Je reste un moment à l'abri du auvent du centre commercial La Farga, voisin du Salon. Mon hôtel est heureusement tout proche.
Je m'y mets à l'aise et dévore la moitié de la belle tarte aux fruits que m'ont offert tout à l'heure les 2 charmantes organisatrices du Salon pour me remercier d'être venue.
Le dimanche à Barcelone
La journée est longue, ce sera pourtant la plus courte puisque le Salon ferme à 18h.
Je vais et je viens en fredonnant "I'm alone, in Baaarcelone" sur l'air du "Baby Alone in Babylone" de Gainsbourg.
Passant devant un stand, je réalise qu'un artiste propose de tricoter soi-même son plug anal, un certain Noël (Noël McCarthy ?).
Je suis au bout du rouleau.
Rose puis fondu au noir
Oeil pour cou
Vendredi après-midi j'ai laissé un moment le fil écru pour ajouter une touche de rouge à ma table noire.
Je modèle un oeil, je module un bouillonnement, je modère un format dont je ne sais ce qu'il peut devenir.
Samedi, un visiteur différent s'est attardé pour me faire compliment de mon travail et s'est finalement présenté. Il s'occupe d'une foire barcelonaise de joaillerie contemporaine. Il me montre sur son smart phone quelques uns des bijoux qu'il expose. Des merveilles de créativité et d'audace d'artistes de tous pays et de toutes pratiques.
Voilà une niche où l'imagination s'épanouit. C'est beau et bon à voir.
Je me flatte d'avoir retenu son attention avec mon travail car voilà quelqu'un qui en voit passer des pas banals. Un expert en esthétique.
J'ai bien déjà crocheté des manchettes et des colliers, mais en me défendant de faire quelque chose d'utile je me suis toujours méfiée de m'investir plus que ça dans un domaine pourtant manifestement accueillant.
Une fois mon visiteur parti (après avoir lié nos facebooks), j'avise mon oeil rouge qui me regarde sur ma table basse : bon sang mais c'est bien sûr !
Je vais en faire un collier. Et pas du genre discret.
J'en reprends le crochetage dans la fièvre, jusqu'à en avoir le goût du sang dans la bouche, et je le termine (en épuisant la pelote presque entièrement) le soir même. Il m'aura pris 2 après-midi et pas mal d'énergie (les petits sujets sont plus rapides mais plus douloureux à crocheter).